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16.6.13

House Of Freaks - Tantilla


RIP

 Grand jeu sans frontières des blogueurs mangeurs de disques 


When the Hammer Came down
The Righteous Will Fall
White folk's Blood
Birds Of Prey
King of Kings
Family Tree
Sun Gone Down
Kill the Mockingbird
Broken Bones
I Want Answers
Big Houses
The World of Tomorrow


Vers 1987-1988, en morne plaine post-punk neo-roots, on pouvait parfois voir un curieux duo se produire dans diverses tinettes californiennes, comme Al's Bar downtown, ou Raji's sur Sunset à Hollywood. Ils s'appelaient House of Freaks : le guitariste chantait comme Lennon, le percussionniste tapait sur tout ce qu'il trouvait dans les environs, pourvu que ça fasse le bruit dont il avait envie ce soir-là. Ils étaient beaux tous les deux, Johnny Hoff le batteur plus encore que Bryan Harvey le chanteur, et ils venaient de Virginie, charriant une imagerie d'Ile au trésor, de gris-gris, poupées vaudou, chats noirs et amulettes bien dans l'air du temps (Violent Femmes, Gun Club, X, Cramps, etc.). Mais ils étaient aussi, surtout sur scène où ils se montraient plus tempétueux que sur leur premier album un peu trop propre, les précurseurs de tous les boucaniers à deux têtes d'aujourd'hui, Kills, Black Keys et autres White Stripes.
Malgré tout, ils n'ont pas vraiment foutu le feu à la baraque durant leur séjour à Los Angeles, et ils étaient vite retournés à Richmond, en Virginie, pour passer à autre chose ; Harvey devenant prof dans un collège technique, tout en continuant la musique au sein d'un groupe local, Gutterball ­ avec Steve Wynn, un ancien membre de Dream Syndicate. Seul ce quotidien avait repéré les zigs, de Paris, dès leur premier disque (Monkey on a Chain Gang), au son pourtant étrangement sous-marin, ayant reconnu quelque chose dans ces chansons qui parlaient d'amour et de mort, surtout de mort. Qui d'autre aurait entendu ces augures ? «Un million de coeurs un million d'esprits/Ont vécu et sont morts en 40 ans/Priez pour vous et vos souvenirs/Et soyez déjà reconnaissant d'avoir eu 40 ans»...
Humour de potence. Pas beaucoup plus, pour ce qui concerne l'auteur Bryan Harvey, 49 ans. On vient en effet de le retrouver tué, le jour de l'an 2006, avec toute sa famille (sa femme de 39 ans, Kathryn, ses filles, Stella et Ruby, 9 et 4 ans), dans la cave de leur maison ­ tous quatre ligotés au papier collant et égorgés.
Le ou les meurtriers avaient mis le feu à la cave comme pour détruire les preuves. Johnny Hoff, le batteur, a vu la fumée, en arrivant vers midi à la maison en brique sur West 31st Street, dans le quartier de Woodland Heights, où il venait chercher les Harvey pour manger un chili chez des amis.
Il est bien sûr tentant rétrospectivement d'éplucher les disques de House of Freaks, avec leurs titres comme Black Cat Bone, Lonesome Graveyard, Ten More Minutes to Live, Barn Burning ou Pass me the Gun... Harvey avait un certain humour de potence qui coince un peu maintenant : «Bébé qui crève de faim dans la rue/Bon Dieu, que quelqu'un mette fin à sa souffrance/Enfin bon, il reste juste une balle/Et qu'un flingue à se faire passer.»
Paroles glaçantes. La guerre de Sécession, l'héritage du Sud, primait dans leur inspiration. Les paroles de White Folks Blood, par exemple, sont glaçantes : «Quels mystères coulent dans le sang des Blancs ?/ Quels secrets passent leurs lèvres sur leur lit de mort ?/ Et quelles passions courent sous leur peau ?/ Tout en nettoyant le fusil de leur père/Ils ont des mots comme des asticots qui grouillent dans leur cervelle /Bâillonnés et ligotés à un tronc d'arbre.» Harvey pouvait aussi se montrer tout à fait loufoque, comme avec son hilarante harangue macabre contre l'oiseau moqueur qui le tient éveillé toute la nuit (Kill the Mockingbird).
Pour autant, Harvey et consorts étaient des gens équilibrés, aimés, tant des voisins que de leurs amis. Kathryn, l'épouse, tenait un magasin de farces et attrapes, qu'elle avait facétieusement appelé «House of Mirth» (la maison de la rigolade). Les voisins se rappellent que, enceinte de Ruby, elle s'était décoré le ventre comme une citrouille, le jour de Halloween. Harvey, tout en continuant la musique (la veille il avait encore tenu la guitare avec un groupe local, NrG Krysys), connaissait ses priorités.
Après leurs trois disques pour Rhino (le meilleur étant Tantilla) et un dernier effort en 1991 avec Cakewalk, Hoff et lui avaient dissous House of Freaks. Gutterball, leur groupe de Richmond avec Wynn, était adapté aux besoins familiaux. Quand ils ont fait la première partie d'une tournée des Black Crowes, par exemple, Harvey a refusé une offre de poursuivre quatre semaines de plus.
Il n'y a pas que la communauté musicale de Richmond qui soit secouée par le massacre : la ville connaît une vague de meurtres sans précédent. Ce même jour de l'an, en plus des Harvey, Lewis Aaron Casper et sa fille de 17 ans, Roicana, ont été tués chez eux. Quatre jours après, à Philadelphie, on a découvert les cadavres de Percyell Tucker, sa femme Mary et leur fille Ashley dans leur maison saccagée et cambriolée. Tous trois ligotés au papier collant. Dimanche, le Times Dispatch de Richmond annonçait que la police de Philadelphie avait appréhendé deux hommes pour ces derniers meurtres, grâce à un SUV Chevrolet Blazer vert trouvé sur les lieux du triple meurtre. Des forces d'assaut (Swat) les ont appréhendés, l'un des deux ayant dû être neutralisé avec une bombe au poivre.
Ray Joseph Dandridge et Ricky Gray, tous deux âgés de 28 ans, ont depuis été officiellement inculpés d'au moins sept assassinats. On pense de plus en plus à une nouvelle affaire «De sang froid», vu l'arbitraire et l'inutilité des crimes. Dandridge venait d'être libéré de prison en novembre, après avoir purgé dix ans pour vol à main armée. «On fait tous des erreurs, écrivait-il sur un site pour prisonniers peu avant sa libération, et ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. J'entends traiter les autres comme je veux être traité et respecté dans la vie.»
Samedi dernier, au Byrd Theatre, l'opulent cinéma de Carytown, le quartier voisin de celui des Harvey, des photos des victimes défilaient sur l'écran. Bryan Harvey en combinaison blanche d'Elvis Vegas. Kathryn Harvey et son ventre-citrouille. Les fillettes à la plage. La salle de 1 400 places était comble. Durant la projection de diapos, quinze musiciens ayant joué avec Harvey dans des formations diverses ont entonné All Things Must Pass, la chanson de George Harrison.
A la bougie. Il y a aussi eu les enterrements, cérémonies et veillées à la bougie qu'on attend en pareille circonstance. Si les voisins, malgré les avertissements de la police (un massacre reste encore inattribué), sont rassurés par les arrestations, «les choses ont changé ici, pour toujours», comme l'a dit un musicien ami de Bryan Harvey à un journaliste du Times Dispatch.
Bizarrement, dans la galerie des défunts du rock, les morts les plus violentes atteignent souvent les plus rangés : on pense à Lennon, évidemment. Harvey était de toute évidence rentré chez lui cultiver son jardin. On ne peut pourtant pas s'empêcher de songer aux visions de saccages et d'incendies «blue bellies» qui semblaient hanter son inspiration : «Come on man tear it down /Kill the rats before they drown /And watch your barn burn down to the ground» : «Allez mec, fous-la par terre/Tue les rats avant qu'ils ne se noient/Et regarde ta grange brûler.»
Par Philippe Garnier



14 commentaires:

LRRooster a dit…

Ouh là quelle histoire !
Bon post qui donne envie. Et banco pour le deuxième DL de la journée, le premier étant le lien d'Everett, on va m'accuser de ne voir que par le Canut Crew.
Merci Marius

Everett W. Gilles a dit…

Hello.
Les HOF et Garnier tu m'étonnes si je valide!
J'avis posté le premier morceau de leur premier disque avec Jimmy. Quelle horrible histoire.
EWG

Unknown a dit…

Philippe Garnier est un très bon... Mais p..... ça fout la trouille! je prends!

sorgual a dit…

Un disque, une histoire, je ne lis plus ces faits divers de la même manière depuis une soirée de formation médicale sur la négociation face au patient difficile, avec pour orateur un négociateur du GIGN, racontant ses expériences face à forcenés, preneurs d'otages, meurtriers, prisonniers mutinés ... en France et ailleurs. Il expliquait bien la nécessité d'équipe qui fait tant défaut aux forces russes qui font des carnages (80 otages disparus du théâtre pour ne pas y retrouver leurs propres balles), plus de blessés et tués dans la reprise de l'école aux tchétchènes qu'il n' y avait de personnes dans l'enceinte ... des Rambos. Les Swat viennent souvent en stage apprendre la cohésion, plus que le muscle.
M'en vais écouter ce disque avec plaisir.

charlu a dit…

Whouahh le billet... j'apprends tout..reste plus qu'à écouter

Pascal GEORGES a dit…

Quelle chronique !
Du grand journalisme d'investigation...
Une histoire qui ne peut que fasciner et donc donne à ce groupe un côté désormais mythique...
Impressionnant...
Bravo, si on peut dire en de telle circonstances.

Anonyme a dit…

Je goûte et je pense que la ligne clair du style, un genre que j'aime bien, me fera oublier le destin tragique.
Ce rock mélodieux et nerveux.
A ranger auprès des Graham Parker, Crowded House version Amérique country rock... Super

Everett W. Gilles a dit…

'Lo again.
@Ma : au cas où, j'ai aussi leurs autres disques.
EWG

Sb a dit…

Glaçant... Ca donne pas envie de vivre là-bas... Heureusement la musique arrive jusqu'ici. Merci

Unknown a dit…

Beaucoup de frissons, vais me le prendre avec plaisir!

La Rouge a dit…

Oh! Magnifque texte. Je prend avec joie. Merci.

Sadaya a dit…

Oh bon sang quelle tristesse!!! On se sert un whisky avant d'écouter??

Ma a dit…

merci les copains
comme le dit Antoine le disque(très bon) va vous faire oublier cette sale histoire .

Brother EW. le 4 ème alors ? et1 Big Big Thank you for letter , affected I'AM
Biz

Everett W. Gilles a dit…

'Lo Marius.
Invisible Jewel c'est ça? Je laisse un lien ici demain ou je le poste un de ces 4 comme tu veux.

Le reste c'était juste un clin d'œil qui me faisait plaisir.
La bise.
EWG